Être lucide c’est bien, mais comprendre pourquoi l’autre est différent c’est mieux. Comment expliquer l’aveuglement de ceux qui ne voient pas les avantages de ma proposition et persistent à défendre une solution totalement erronée ? Répondre à cette question amène à s’interroger sur les motivations et intérêts qui nous animent.
#Littérature
Leçon 3 : Seul le résultat compte !
« La fin justifie les moyens », « seul le résultat compte », « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs », « l’histoire ne retiendra que la victoire ». C’est par ces petits raccourcis simplistes que les courtisans d’hier et d’aujourd’hui justifient leurs actes moralement douteux. Pour eux, qu’importent les moyens ou la manière, du moment que le résultat est atteint. C’est une vision égoïste permettant d’atteindre son optimum local (ses propres objectifs de résultat) au détriment d’un optimum global (ses résultats, mais aussi ceux de ses collègues, de l’entreprise, l’environnement de travail, la qualité du relationnel, etc.).
Leçon 4 : L’importance des faits
Le courtisan que vous rencontrez à la machine à café ou en salle de réunion est en général habile. Ne comptez pas le coincer par un simple écrit qui contredit ce qu’il vient de dire. Car le bougre connaît l’importance et la valeur des faits : indiscutables, sans partis pris, ils ne peuvent être réfutés. Voici deux exemples de faits :
– le compte-rendu de la dernière réunion indique que M. Lelapin était absent ;
– le mois dernier, notre tableau de bord montre une perte de 5 % de part de marché sur le segment « carotte ».
Qui peut discuter de cela ? Dans ces deux exemples seuls les faits sont relatés. Il n’y a pas de place pour le jugement de valeur, l’interprétation ou une quelconque analyse. Tout cela viendra après, une fois ces faits partagés et appropriés par tous.
Leçon 5 : Damned ! Trahison !
Trahir quelqu’un, c’est tromper sa confiance, l’abandonner ou prendre de façon soudaine et imprévisible le contrepied de sa position. Par nature, un courtisan qui instrumentalise une relation afin de servir ses propres intérêts, trahira un jour ou l’autre. Il suffit par exemple qu’il décide de courtiser une autre personne, plus en vue, plus puissante et qui lui apportera avantage. Être trahi est sans doute la pire des situations : on se sent blessé et meurtri par cette confiance abusée. Pourtant, le traître suit sa logique implacable et ne verra dans son comportement ni lâcheté ni perfidie. Pour lui, la trahison est juste un moyen différent d’atteindre plus sûrement et plus rapidement l’objectif visé. Que cela fasse des dommages collatéraux ? Qu’il laisse sur le bord de la route ses anciens camarades ? Pourquoi pas. Il ressortira alors l’argument imparable de tous les égoïstes et arrivistes : « la fin justifie les moyens ». Phrase magique qui dans la conscience des courtisans absout toutes les félonies, comme on l’a expliqué dans l’épisode 3.
Leçon 6 : Pas en public, svp …
Quand les résultats ne sont pas bons et les objectifs non atteints, il est nécessaire de réagir, parfois violemment. Ces « coups de gueule » collectifs fonctionnent généralement bien. Cette technique de management est couramment utilisée chez les sportifs pour piquer leur fierté et créer un sentiment d’urgence collectif.
Leçon 7 : De l’importance des sourcils épais
Que personne ne s’y trompe : la crainte est un puissant stimulant. Il est des situations où seul un management fortement directif et très autoritaire peut arriver à des résultats. C’est le cas notamment des situations d’urgence ou de crise. Pour faire passer le message et affirmer sa criticité il se peut même qu’une voix forte et autoritaire, qu’une expression inhabituellement agressive soient souhaitables. Il ne faut pas nier la force du langage corporel : froncer les sourcils et parler fort sont des mécanismes qui fonctionnent.
Dans « les poissons et le berger qui joue de la flûte », La Fontaine reprend cette idée de façon amusante : une bergère pêche sans succès en compagnie de son ami. Celui-ci essaie vainement de l’aider en jouant de la flûte et en essayant de convaincre les poissons par de beaux discours et de belles poésies. Sans succès. Il opte alors pour la manière forte et pose des filets. Comparée aux poésies, cette méthode est certes plus « brutale » et directive, mais le résultat est immédiat : la pêche fut abondante.
Leçon 8 : On a toujours besoin d’un plus petit que soi
Le courtisan est ambitieux mais comprend qu’il doit faire ses armes avant de remplacer le calife. Pour asseoir son autorité grandissante et montrer qu’il a déjà toutes les qualités d’un grand chef, il règne sur sa petite équipe avec l’ouverture d’esprit d’un despote mal luné un jour de pluie. Son besoin de puissance et d’autorité ne s’exprime qu’au travers du management de son équipe. Malheureusement, guidé par la soif de résultats et l’envie de briller à la cour, il mettra une pression très forte sur ses équipiers afin d’arriver à ses fins.
Pour ce faire, il n’a pas besoin de fortes têtes qui le contredisent ou discutent ses ordres. Celles-ci sont rapidement identifiées et mutées dans un autre service. Finalement, des profils assez lisses, de « bons soldats », dociles et sans trop d’ambition, seront parfaitement adaptés à notre homme. Il pourra les utiliser, les menacer, abuser de leur docilité sans faire trop de bruit tout en s’appropriant les résultats de l’équipe.
En respectant ce principe, un lion eut un jour la brillante idée de s’associer avec une chèvre, une brebis et une génisse (le niveau zéro du courtisan, vous en conviendrez). La première proie capturée et dépecée en quatre parts égales, le lion fit le partage :
« La première part me revient, dit-il, en qualité de Roi.
La seconde aussi, en usant du droit du plus fort.
La troisième pareillement, car je suis l’animal le plus vaillant.
Et que celui qui touche à la quatrième aura affaire à moi ! »
Quelle situation confortable pour ce lion ! Pourtant, c’est bien la chèvre qui découvrit le cerf embourbé dans un lac. Mais qu’importe. Être entouré de plus faibles que soi, aide à asseoir son pouvoir.
Leçon 9 : L’art de retourner sa veste
Le bon courtisan est adaptable : il sait quand crier « vive le Roi ! » lorsque cela l’arrange et « Vive la Ligue ! » quand le vent tourne. C’est une question de survie, car, par définition, le courtisan ne vit que grâce aux puissants. S’il n’adapte pas ses convictions et ses idées au pouvoir du moment, il perd toute chance d’arriver à ses fins. Dans « la chauve-souris et les deux belettes », La Fontaine raconte l’histoire de cet animal hybride : mi-souris, mi-oiseau qu’est la chauve-souris. Cette dernière tombe d’abord dans le nid d’une belette hostile aux souris. La chauve-souris a beau jeu de montrer ses ailes et de se déclarer de la race des volatiles. Ensuite, elle rencontre une autre belette, ennemie jurée des oiseaux. Notre chauve-souris montre sa peau rase, où aucune plume ne pousse et réussit sans difficulté à convaincre l’hostile belette de son appartenance à la confrérie des souris. Par ce changement auto-déclaré de statut, elle sauve sa vie deux fois.
Le courtisan n’est pas la chauve-souris de la fable : il ne joue pas sa peau au sens propre du terme, mais il joue sa carrière ou sa survie politique au sein de la Cour. Et on se demande parfois si ce n’est pas le plus important pour lui… (à l’image du célèbre personnage de bande dessinée Iznogoud, qui, comme chez La Fontaine, a la ténacité de la fourmi, la ruse du renard, la méchanceté du loup et la bêtise de l’âne).
Leçon 10 : Le problème vient toujours des -autres
Qu’il est difficile de reconnaître ses faiblesses et ses erreurs ! À plus forte raison, pour un courtisan s’il doit faire ce « mea culpa » en public. Beaucoup n’y arrivent pas et rejettent la responsabilité de leurs mauvais résultats sur les autres. Il y a sans doute un côté calculateur à se défausser ainsi, mais la plupart du temps, ce comportement est spontané et involontaire. Il n’est pas dans notre culture de se flageller et de s’autocritiquer.
Par ailleurs, l’exercice est très difficile : comment se rendre compte de nos tics de langage, que certaines de nos intonations peuvent paraître vexatoires ou de nos petites manies agaçantes ? Il est bien rare qu’un regard extérieur bienveillant nous pointe systématiquement toutes ces maladresses quotidiennes pour nous faire progresser.
À l’opposé, chacun est en position de juger ses collègues. La critique est facilitée par l’ego du courtisan ou sa capacité à trouver un intérêt tactique à cette critique. Vous voulez lire une excellente étude psychosociale sur la difficulté de l’autocritique et les conflits qu’engendrent les attaques personnelles abusives ? Lisez Achille Talon la bande dessinée de l’auteur belge Greg. Vous y découvrirez Hilarion Lefuneste, navrant « voisin-par-la-force-des choses » d’Achille Talon, qui passe son temps à le critiquer, sans trop se remette en cause…
Dans un registre finalement similaire, La Fontaine met en scène dans « la besace » des animaux invités à suggérer à Jupiter, leur créateur, des améliorations les concernant. Curieusement, aucun ne se plaint de sa condition, mais tous critiquent un autre animal. L’ours s’étonne de la taille des oreilles de l’éléphant, ce dernier trouve la baleine trop grosse et la fourmi juge l’acarien bien petit. « Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes : on se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain » conclut l’auteur.
Dans une autre fable « Le cerf se voyant dans l’eau », un cerf critique ses pattes, bien trop frêles et loue ses bois – fort majestueux. Des chasseurs arrivent et voilà notre cerf qui s’enfuit à toute allure à travers la forêt. Ses pattes l’entraînent fort vite mais malheureusement ses bois se prennent aux branches et ralentissent sa fuite. Qui n’a pas, à l’instar du cerf de la fable, mal cerné ses points forts et ses faiblesses ? Vu la sensibilité de chacun, son niveau de confiance en soi et sa vanité, cela explique bien des incompréhensions lors des entretiens d’évaluation avec son chef…
Leçon 11 : Ya ka faucon – exécution
« Je suis le chef, je vous dis quoi faire (car je suis très intelligent). Débrouillez-vous pour le faire et que ça fonctionne… ». Voilà la vision du management de petits chefs autoritaires, pleinement investis de leur petite parcelle de pouvoir et tels qu’on aime les voir chez nos concurrents. Ce comportement est très désagréable, surtout quand le passage de la stratégie à la réalisation opérationnelle n’est pas trivial : c’est le domaine de prédilection du « Ya-ka-faucon ».
Certes, il faut une séparation des rôles : un manager décide et ne peut pas tout faire. Mais sa mission est aussi de jalonner la route de ses équipiers, de les coacher, de les aider et de les faire grandir.
Dans certains domaines techniques, notamment les systèmes d’information, il est facile de coucher sur du papier de belles et grandes idées théoriques. Jamais une présentation n’a dysfonctionné ou connu des problèmes de performance : tout est possible dans l’univers fabuleux de Powerpoint…
Les problèmes apparaissent lors de la mise en œuvre. Le diable se cache dans les détails et bien souvent les équipes opérationnelles payent le prix d’une conception novatrice trop théorique et peu robuste.